Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/83

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XLI. — LA BIÈRE

Le célèbre Soiriste-Parisien Sabrazés a profité de l’entr’acte du deux pour aller boire rapidement une chope, dans la seule brasserie du quartier qui s’approvisionne sérieusement à Munich. Il s’est délecté à regarder le flot de topaze où le gaz se reflète ; il l’a bu et s’est senti rafraîchi et réconforté, voilà qui va des mieux ; mais le malheur a voulu qu’il eût oublié — de ne pas emporter sa pipe. Il la sent en mettant la main sur sa poche, et aussitôt éprouve un immense et impérieux besoin de ne pas retourner à la comédie. Il a, le guignon s’en mêle, d’excellent tabac sec ; il bourre sa pipe et l’allume, et la fume en buvant une autre chope, puis une autre, et comme dit mon maître, dans Le Parricide,


Une autre, une autre, une autre, une autre, ô cieux funèbres !


Et cette excellente bière nourrie et légère le rend absolument heureux. Il fuit le théâtre, il n’y retournera pas : le théâtre, c’est bon pour Sarcey ! Cependant il faut que le Soiriste écrive enfin sa Soirée ; comment fera-t-il ? Mais la fée Houblon n’est pas plus bête qu’une autre ; dans le flot d’or immobile que frange une blonde écume, elle montre distinctement au buveur la chevelure en or très