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XLV. — LES AFFAIRES

À la porte du célèbre papetier Malpièce qui, dans ses splendides magasins situés sur un boulevard récemment construit, vend, comme Susse et Giroux, des lampes, des bronzes, des vases, des meubles, des peintures à l’huile, et tout enfin, excepté la papeterie, — s’arrête une voiture à bras, traînée par un homme robuste, à la barbe grisonnante. L’homme entre dans le magasin et timidement s’approche du maître de la maison, déjà vaincu par son froid regard, et pareil au bœuf qui va être assommé.

— « Eh bien ! mon cher Sagne, lui dit Malpièce, d’un ton volontairement dédaigneux et décourageant, qu’est-ce que vous m’apportez encore ?

— C’est, répond l’ouvrier, un meuble que j’ai fait entièrement à moi seul, avec amour, les matins, les soirs, et les nuits après l’ouvrage, pour tâcher de soulager notre misère. Car vous savez, monsieur, que je suis très pauvre et que j’ai six enfants. »

Il sort et revient aussitôt, portant dans ses bras un meuble de style Louis XIII, en ébène incrusté d’ivoire, montrant à ses angles de délicats ornements de bronze argenté ; un vrai chef-d’œuvre, dont le dessin, les proportions, le fini sont admirables, et dont les incrustations