Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/98

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tout en jouant, elle fume une cigarette de tabac turc.

— « Sang et tonnerre ! hurle en entrant le général Chanor.

— Ah ! vous êtes jaloux ! dit Tamnâ, tandis que son ami regarde curieusement le militaire, comme un enfant regarde un hanneton irrité. Vous êtes jaloux ! de qui ? de Taravant ? Ah ! mon général, celui-là ne m’a jamais baisé le bout des doigts ; mais c’est bien parce qu’il ne l’a pas voulu, par exemple ! Car, tâchez donc de comprendre, à la fin ! Taravant peut me donner des rôles, mille rôles, tous les rôles ; et sachez-le bien, moi qui bois le Château-Margaux dans un verre que caressent des arabesques d’or, moi qui suis adorée et servie à genoux comme une reine, pour avoir un seul bon rôle je lécherais la boue du ruisseau, et je nettoierais le pavé — avec ma langue ! »


LI. — PETIT MONDE

Dans leur taudis glacé l’homme et la femme sont saouls et endormis, elle sur la chaise dépenaillée, lui par terre. La chandelle prête à s’éteindre, dont la mèche rouge charbonne et qui s’écroule en cascades de suif, éclaire à peine d’une lueur rouge leurs visages déchirés et tachés de sang, car ils se sont battus, comme toujours, avant de tomber assommés par l’eau-de-vie. Assis