Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/99

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presque nu sur le bord du grabat sans draps, le pauvre petit de trois ans pleure de faim et de froid. Mais sa grande sœur, qui a six ans, vient, le prend, l’enveloppe dans un fichu à elle où il y a plus de trou que d’étoffe, et n’ayant pas autre chose à lui donner, calme sa faim et le réchauffe, et l’endort dans ses maigres bras, à force de baisers. Et grandie par le céleste amour, cette fillette aux grands yeux d’or et à la chair transparente est déjà belle et sérieuse comme une jeune mère.


LII. — FLEURISSEZ-VOUS !

On l’appelait Nini quand elle était jeune et belle comme une déesse, et on l’appelle encore Nini, à présent qu’avec des ongles furieux la Vieillesse a creusé sur son visage tanné mille profondes rides, et de dessous son madras tire des touffes de tignasse grise, pareilles à des touffes de laine qu’on tire d’un matelas. Les haillons de Nini, le caraco, le gilet de laine, les jupes n’ont plus ni forme ni couleur. Tout cela est déchiré, noué de nœuds hideux, raccommodé avec des bouts de ficelle. La vieille n’a pas de bas, et le bout de ses pieds nus sort de ses souliers d’homme, qui tirent la langue.

Cependant, en songeant au passé, Nini ne regrette ni les toilettes, ni l’hôtel, ni les meubles de soie, ni les fringantes voitures de son bon temps. La seule chose à