Page:Banville - Les Belles Poupées, 1888.djvu/137

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les dénouements, et incertaines comme le temps qu’il fera dans quinze jours. Au milieu du monde, à l’Opéra, dans un salon, Guy de Latil est pareil un jeune dieu, et sa beauté est celle d’un adolescent. Mais la première fois qu’il est resté avec moi à la maison, je l’ai vu tel qu’il est, vieux, fatigué, irrévocablement malade de tristesse et d’ennui, à bout d’excès, ayant besoin, non des baisers d’une femme, mais des soins d’une mère, foncièrement égoïste et ingrat comme un ancien homme à bonnes fortunes.

Enfin, ce miracle d’esprit ne sait rien, ne se connaît à rien, n’a rien lu. Quand il s’est bien frotté au monde parisien, à son cercle ou sur le boulevard, il rapporte de là une moisson d’anecdotes et de saillies, qu’il répète avec une grâce apprise ; mais abandonné à lui-même, il est entièrement dépourvu d’idées, ignorant comme une carpe, ennuyeux, ennuyé, méchant, parce qu’il a la tête vide comme une calebasse. Ses talents de sportsman, d’écuyer, d’escrimeur, autant de balivernes ; il n’est qu’un cabotin bien seriné, répétant le jeu réglé par un bon metteur en scène. Je n’ai pas eu d’enfant et je n’en aurai pas, tu comprends assez pourquoi, et, du matin au soir, je me demande avec stupéfaction ce que je fais sur la terre.