Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/100

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serait complimentée par le plus grand roi du monde et aiderait à célébrer ses victoires. — Enfin, continua la bohémienne, tu auras les yeux de charbon rouge et le cœur de glace, et aussi tout doit te réussir, mais seulement jusqu’au jour où tu auras marché dans le sang.

La petite danseuse comptait bien n’y marcher jamais, et elle se réjouit de la prophétie en toute assurance, aveuglée d’ailleurs sur l’avenir, comme tous les personnages marqués pour une destinée fatale. S’il y avait sur les grandes routes une seule goutte de sang, ses compagnons la portaient à l’envi dans leurs bras, et croyaient tromper ainsi la restriction qui faisait tache dans son riche horoscope. Au bout de quatre ans, la jeune fille avait si bien travaillé pour le troupeau confié à ses soins, que toute cette bohème, enrichie grâce à elle, put se montrer vêtue et équipée avec un grand luxe, quand Hébé Caristi parut à la foire de Beaucaire en 1795.

C’était la première fois depuis la Révolution qu’on revoyait cette fête fameuse où les marchands d’Astracan, de Bagdad et de Mossoul se trouvaient réunis avec les pêcheurs de perles de la côte de Coromandel et les marchands d’aulx de Marseille, et à laquelle les rues étroites et bordées de maisons à hauts pignons gothiques faisaient un cadre si approprié et si pittoresque. Hébé Caristi n’en fut pas la moindre merveille. Elle avait le teint olivâtre avec des yeux de jais, de longues paupières brunes et des sourcils sans courbure. Son nez mince, ses lèvres épaisses et vivement contournées, sa chevelure crépue, son cou long et droit, ses formes accusées déjà malgré une sveltesse inouïe, lui donnaient l’aspect de ces figures égyptiennes serrées dans un fourreau de mousseline quadrillée, qui tiennent à la main une fleur de lotus. Pour coiffure elle portait des colliers en verre