Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/108

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comme la neige ! Et elle était vêtue à la dernière mode la plus agaçante. Sur une robe taffetas pompadour fond blanc à dessins de fleurs, de fruits et d’oiseaux, elle portait un mantelet de tulle quadrillé de velours, avec deux grands volants de Chantilly ! Ses pieds déjetés étouffaient dans d’étroites bottines de soie noire, et ses vieilles mains dans des gants maïs d’une fraîcheur exquise. Son élégant chapeau en paille de riz était garni avec une touffe de camellias roses, et elle taquinait une ombrelle blanche recouverte de guipure. Il y avait dans tout son ajustement une intention évidente de plaire, qui donnait la chair de poule. Ne semblait-il pas voir quelque stryge partant pour Cythère, et embarquant sur la nef de Watteau une cargaison de crapauds et de vipères sifflantes !

» Cependant, quand la vieille funambule répéta devant nous, sur une corde posée à peu de distance du sol, son éternel Siège de Saragosse, le dégoût que nous avait inspiré sa coquetterie funèbre ne tarda pas à s’évanouir, car ce jour-là, comme le lendemain à la représentation, elle fut sublime ; mais je ne devais pas tarder à retomber dans le détestable cauchemar. Il m’était réservé de voir dans toute son abjection un spectacle qui dépassa les épouvantes de Macbeth où, du moins, les sorcières font tranquillement leur cuisine, et ne s’attifent pas avec des rubans couleur de rose. Mais voir une momie en délire respirant des parfums d’Ess-bouquet, tandis qu’on est suffoqué par l’odeur du bitume et du soufre et entendre les suppliciés hurler des marivaudages parmi les outils et les engins de torture du septième enfer ! n’est-ce pas un luxe de monstruosité par trop impossible et capable d’apitoyer les pierres ?

» Il y a au Cirque une belle fille nommée Emma Fleurdelix, qui, pendant un moment, a ravi les Parisiens du