Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/112

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le noir enchantement disparu, le calme renaîtrait à la fois dans mon esprit et dans le ciel. Mais non, tout cela est arrivé ; Hébé Caristi a vécu, car je l’ai vue mourir.

» Parfois elle arrivait, vêtue de vert pomme ou de lilas tendre ; elle essayait un sourire à la Pompadour ; sa perruque était frisée en nuage ; elle rayonnait de joie. — Ah ! ma chère, disait-elle, je m’étais trompée, il m’aime, il m’est fidèle. Si vous saviez comme je suis heureuse, il m’a apporté un bouquet ravissant ! Et cette Florentine que je croyais sa maîtresse ; ah ! comme j’avais tort de me monter la tête ! Une amie de sa sœur tout simplement. Mais comme vous prenez peu de part à ma joie ! Ah ! Martirio, vous êtes froide ; véritablement, vous n’avez pas de cœur.

» Ainsi le visage et les ajustements d’Hébé étaient le thermomètre de sa félicité affreuse, et disaient exactement en quels termes elle était avec son Raphaël. Par cette avidité inexplicable qui nous pousse vers les choses perverses, j’avais parfois une poignante curiosité de voir cet être sans nom dont le sobriquet déshonore à jamais le souvenir du plus beau des hommes. Et pourtant je sentais que s’il se fût trouvé derrière moi sur la plate-forme des tours Notre-Dame, j’aurais sauté en bas pour ne pas le regarder ! Heureusement, mon inquiétude n’a jamais été assouvie, et je n’ai pas eu à mesurer la dose d’horreur qu’il nous est possible de subir. J’ai lu L’Enfer d’un poëte romantique, avec ses ingénieux appareils de tenailles, de scies, d’hommes en fer rouge, et de chaudières à cuire la chair humaine. C’est un beau livre, mais il est incomplet ; l’auteur, qui a tant d’imagination pour les supplices, a oublié d’inventer dans son Tartare un supplice pour Raphaël !

» Sans doute ce parfait Dorante défila bien vite le cha-