Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/118

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docteur, vous êtes trop gentil pour vouloir contrarier une dame !

» Enfin, tout à fait hors d’elle, elle tira de sa poche un petit poignard et reprit avec égarement : Je vous jure, par les os de ma mère, que, si vous empêchez ma représentation, je me tue avec ceci.

» Le médecin du Cirque est un homme fort, qui a vu des drames comme ceux-là, et bien d’autres encore, depuis trente ans qu’il met du baume sur les âcres morsures faites par les passions parisiennes. Aussi ne fut-il pas ébranlé par le petit couteau de la funambule. Malheureusement, il fut requis en toute hâte pour donner ses soins à un personnage illustre qui, dans la salle même, venait d’être frappé d’un coup de sang. Hébé profita de cette diversion pour gagner le cirque, et elle monta, chancelante, l’échelle qui la conduisit sur sa corde roide, à trente pieds de tout secours humain.

» Aux premiers pas qu’elle fit sur la corde, ce fut un grand cri d’admiration ; car, sur son théâtre idéal, cette déesse de la mimique retrouva sa souplesse, son ardeur inouïe, son agilité de panthère, sa puissance extraordinaire à faire d’elle-même une représentation et un symbole multiples. Oui, au bruit des clairons, au chant orgueilleux des fanfares, cette femme, cette Pallas, cette guerrière à l’aigrette rougissante, c’est l’armée française elle-même, oubliant ses souffrances de six mois et s’avançant vers les âpres ivresses de la conquête. Tantôt elle est le général qui contient l’ardeur de ses troupes, et alors son œil est dominateur, sa bouche immobile et sévère ; puis elle est le soldat heureux de jouer sa vie ; puis le jeune tambour qui bat la charge et à qui la première bataille apparaît comme dans les roses vives d’une aurore ! Ainsi on suivait sur le visage d’Hébé Caristi les