Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/126

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L’amiral se leva avec une obéissance toute militaire, en témoignant seulement par un faible soupir le regret de ne pas entendre mademoiselle Alboni dans le dernier acte de La Favorite. Quand madame de Klérian, bien emmitouflée, se fut blottie dans sa voiture, emportée par les chevaux rapides, elle se mit à réfléchir, et jamais ses réflexions n’avaient été si tristes. Quoi, courtisée par les hommes les plus beaux, les plus nobles et les plus illustres, elle aimait étourdiment un artiste qui était tout au plus à demi-célèbre, et cet ami, choisi par elle entre tous, la dédaignait pour une créature vendue, pour une femme qui a laissé toute pudeur, et qui fait commerce de ses charmes vulgaires ! Désormais son miroir peut bien lui dire, comme tous les jours, que sa chair délicate ressemble à la pulpe des fleurs de la balsamine, et que ses cheveux sont légers et aériens comme la cendre fine dans un rayon de soleil ; l’abeille peut encore se tromper à ses lèvres et s’y poser comme sur les boutons d’une rose, et les poëtes peuvent rabaisser le céleste azur en le comparant aux saphirs de ses prunelles aux pupilles noires, Paule de Klérian ne les croira plus, car elle saura bien, elle, si tout le monde l’ignore, que ses enchantements ne sont plus irrésistibles. — Ah ! se dit-elle, j’ai envie d’aller cacher dans quelque solitude ce triste visage, qui n’a pas su garder sa conquête ! Et une larme, que personne ne devait voir, brûla les yeux de l’aimable Paule.

Cette franche et vive nature ne savait pas supporter l’incertitude. Le lendemain, de grand matin, au moment où Flavien, qui habitait au haut du faubourg Saint-Honoré, venait de sortir selon sa coutume pour faire une promenade à cheval, madame de Klérian descendit d’une voiture sans armoiries, où elle avait attendu avec patience pendant plus d’une heure. Elle monta précipi-