Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/132

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lances, relevé bien des courages abattus, mais je ne donnais rien ; je faisais un marché d’usurier ; je vendais à mes amants un peu de gloire ; et, en revanche, ils m’ont assuré l’espace, l’infini, les siècles sans nombre. Quand je vois s’achever un tableau ou un poëme, je tressaille comme une mère qui baise au front son nouveau-né : toutes ces œuvres portent au front mon effigie ! Comme dans un miroir, j’y regarde l’ombre soyeuse de mes grands cils et les flammes vives de ma chevelure.

Telle est ma vie : enfant encore, la fortune m’est venue d’elle-même, et s’est donnée à moi sans que j’aie dû lui faire aucun sacrifice, car le génie, la beauté et la richesse sont des forces qui se cherchent sans cesse et qui tendent à se confondre pour réaliser la vérité absolue ! Je n’aurais eu qu’à me montrer pour avoir un trône, mais il me faut plus que cela, je veux l’avenir ! Maintenant, madame, voulez-vous savoir ce que je venais faire chez Flavien de Lizoles ! Cet enfant, trop affolé de caprice et de fantaisie, avait perdu le sens du beau qui est en lui. Il s’éblouit des guirlandes qui tombent toutes fleuries de sa palette ; je suis venue pour lui faire revoir la muse ensevelie dans son âme, et que n’apercevaient plus ses yeux aveuglés. Mais il a retrouvé son génie et sa force ; je pars d’ici pour longtemps, sans doute pour toujours ; vous pouvez aimer Flavien !

Paule de Klérian sortit émue et pensive de cette entrevue, mais elle l’oublia bien vite. Cette radieuse fille d’Ève a mieux que l’avenir des marbres inertes et des toiles périssables ; elle a la vie ! et ces petites dents sans tache, qui mordent si bien dans la pomme du bien et du mal. Rien ne troubla ses amours avec Flavien, qui serait devenu un grand peintre s’il se laissait moins