Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/138

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de la lumière, car, sur cette toile enchantée, rien n’accusait le travail successif et la grossièreté des moyens matériels, mais il semblait que la pensée avait pu directement se traduire là par sa seule force expansive, et ce que je contemplais était bien, en effet, une impression et une vision. Vandevelle, chatouillé dans son plus cher orgueil, jouissait de mon admiration avec la complaisance d’un propriétaire de tableaux qui voit ses trésors enviés par un passant ; il se réjouissait béatement que la tête d’enfant du maître inconnu fût sa propriété et non pas la mienne, et il n’était pas difficile de deviner qu’il se proposait de savourer plusieurs fois un plaisir analogue en me montrant les richesses entassées dans son cabinet. Mais son attente fut cruellement déçue, car je repoussai énergiquement la première proposition qu’il me fit de passer à l’examen de nouveaux chefs-d’œuvre.

— Non, lui dis-je, les maîtres recueillis dans votre galerie en penseront ce qu’ils voudront ; mais, sans les avoir vues, je déclare d’avance que cette tête est supérieure à leurs œuvres les plus accomplies ; et d’ailleurs, je ne saurais rien leur apporter aujourd’hui qu’une indifférence parfaite. Supposez que je viens de lire le Cantique des cantiques, et que vous venez m’offrir la lecture d’un autre poème, de quelque livre inconnu, pour lequel j’irais sottement échanger cette vision d’ailes frissonnantes, de tours d’ivoire, de roses fleuries, de grands lys au bord des eaux vives, de formes amoureuses, de parfums parmi les meubles de cèdre et les étoffes ornées de broderies !

— Pourtant, ajouta Vandevelle un peu piqué, sans vous parler de mon Rembrandt, de mon Hobbéma et d’une tête bien authentique de Raphaël, n’ai-je pas ici un Murillo que tous les musées de l’Europe ont voulu