Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/141

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gement ! La tête que vous avez tant et si justement admirée n’est qu’une étude faite pour le premier de ces tableaux.

Comme Vandevelle l’avait bien pensé, je me sentis un violent désir de voir sans aucun retard la galerie de M. Silveira. Mon ami, cédant à mes sollicitations, consentit sans peine à m’accompagner sur-le-champ ; mais, comme il avait en même temps à s’acquitter à Versailles d’un devoir pressant, il fut convenu que je l’assisterais tout d’abord dans sa première visite. Il s’agissait précisément d’aller porter quelques secours à un autre artiste tombé dans la plus affreuse misère ; et malgré toute la complaisance qu’il voulait mettre à satisfaire ma curiosité, Vandevelle exigea que l’accomplissement de cette bonne œuvre passât avant toute chose, car il craignait d’arriver trop tard, comme on a coutume de faire quand on va secourir un artiste qui meurt de faim.

Oserai-je dire qu’en entrant dans la triste maison de la rue de Marly où demeurait le protégé de Vandevelle, je sentais presque un sentiment de haine contre le pauvre misérable à qui nous portions peut-être son dernier morceau de pain, tant j’étais avide du spectacle promis, et tant je m’irritais contre tout retard qui me séparait de ce plaisir souhaité avec une impatience folle. Par bonheur, ce mauvais sentiment ne dura pas, car au moment même où, après avoir traversé une allée noire et fétide, nous montions l’escalier de pierre en nous appuyant à la corde graisseuse qui servait de rampe, un pressentiment impérieux m’avertit que l’homme chez lequel nous montions était précisément le peintre de la tête ineffable possédée par Vandevelle. Je compris tout à coup que mon ami avait mis une puérile vanité de conteur à ménager ses effets dans un certain ordre, et qu’il