Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/146

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métaux, les étoffes, les parfums aux magnificences de la nature domptée, éternellement fleurie, offrant pour en faire un décor ses oiseaux, ses blanches étoiles, ses forêts de roses sous les rayons de lune. Et elle, sa divinité, à travers les discours du pauvre fou, elle apparaissait aussi comme ces reines de l’Ode aux éclatantes chevelures, aux colliers de perles, qui marchent sur les tapis d’or et sur le cœur des poëtes, les Béatrix, les Cassandre, les Elvire qui pour toute l’éternité se détachent sur un fond d’immuable azur.

Ainsi perdu dans une adoration extasiée, n’écoutant nos paroles que pour les rapporter à son idée fixe, il se berçait lui-même dans son rêve ; mais à chaque instant, à toutes les minutes, redevenu automate et marionnette, il allait à l’armoire, et, maintenant sans interrompre ses divagations, car il s’était enfin familiarisé avec nous, régulièrement, froidement, mécaniquement, sans repos, sans trêve, il avalait le breuvage brûlant, et chaque fois il refermait l’armoire et il revenait vers nous ressuscité pour une minute, comme s’il eût bu en effet la flamme même de la vie. En bas de l’armoire, posée sur le parquet, il y avait une dame-jeanne noire et luisante que je n’avais pas vue d’abord ; quand le flacon d’eau-de-vie était vide, Margueritte le remplissait avec la dame-jeanne, regardant sournoisement à droite et à gauche, comme pour s’assurer qu’il n’était pas épié, car il s’imaginait dans sa folie que nous ne pouvions rien saisir de tout ce manége. Mais comme il allait remplir le flacon pour la seconde fois, il leva et agita en vain l’énorme bouteille, elle était parfaitement vide, pas une goutte de liquide ne tomba de son goulot desséché. Alors le visage de Margueritte prit l’expression d’une stupéfaction désespérée ; il eut le regard fixe,