Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/149

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Il était retourné à l’armoire, et il vit mes yeux fixés sur les siens avec une expression de douloureuse pitié. Aussitôt il baissa la tête sans me quitter du regard, il se mit à agiter sa main, cherchant machinalement le verre dans lequel il m’avait une première fois offert de l’eau-de-vie.

— Monsieur, balbutiait-il, si j’osais vous offrir… vraiment elle est bonne… pas du tout mauvaise… on me la donne de confiance… pas du tout mauvaise… et s’adressant à Vandevelle : N’est-ce pas qu’elle est jolie… comme les anges ! C’est ce rose de sa lèvre qui vous… qui vous persuade… en voyant ce rose… Monsieur, on comprend bien… qu’elle a raison… qu’elle est bonne… vraiment, fit-il en me tendant le verre, pas mauvaise… je vous assure… pas du tout mauvaise !

Vandevelle m’avait fait un signe ; nous sortîmes sans dire adieu au pauvre fou, pour ne pas l’arracher à son rêve. Quand nous nous trouvâmes dans la rue, mon ami, très-curieux de savoir quelle impression j’en avais ressentie, se mit à me parler du singulier spectacle auquel nous venions d’assister, mais il m’était impossible de rien écouter patiemment ou plutôt de rien comprendre. Toujours j’avais devant les yeux ce spectre allant de la cheminée à l’armoire, buvant, revenant, avec la régularité automatique des personnages de bois que mettaient en mouvement les anciennes horloges d’Allemagne. Je marchais, poursuivi par ce cauchemar, qui ne me semblait plus avoir jamais eu rien de réel, mais qui avait pris possession de moi avec une tyrannie étrange ; si bien que je le regardais encore, lorsque nous arrivâmes chez M. Silveira.

Le célèbre collectionneur était absent, mais les honneurs de sa galerie nous furent faits par son fils, charmant jeune homme de vingt ans qui semble avoir dé-