Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/157

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sur le Quai aux fleurs ; Margueritte passait les heures à faire des croquis d’après elle, tandis que la fillette, folle de parure, rapetassait avec amour des oripeaux dorés, des rubans, des bijoux de strass et des perles à la douzaine. Les amis, assis sur le matelas de Margueritte, ne se lassaient pas de regarder ce nid d’amants épris ; mais, un beau matin, le peintre ferma sa porte en annonçant qu’il voulait travailler. Vous pensez si un pareil mot dans sa bouche dut étonner ceux qui le connaissaient ; mais cet étonnement ne fut rien auprès de celui qui nous attendait six semaines plus tard, quand Margueritte pria ses amis de revenir le voir ! Comme par un coup de baguette, le galetas poudreux avait été transformé en un atelier magnifique et sévère, tendu de vieilles tapisseries héroïques, meublé avec des bahuts du meilleur temps de la Renaissance, et décoré de belles armes orientales. Les sièges en cuir de Cordoue, les miroirs de Venise, le vin dans les carafes de Bohême, les assiettes de faïence sur le dressoir, le grand lustre de cuivre, les chandeliers à sept branches, les fleurs de pourpre dans les vases craquelés complétaient les harmonies d’un luxe sérieux ; enfin là où l’on avait si longtemps marché sur des bouquins blancs de poussière, les pieds foulaient un épais tapis, moelleux comme un lit de mousse. Vêtue d’une robe de brocard sur laquelle tombait une lourde chaîne d’or, Céliane avait l’air d’une jeune patricienne de Venise. Et sur un beau chevalet de chêne, au milieu de l’atelier, il y avait… devinez quoi ? Le tableau d’Hélène enfant ! improvisé dans cet éclair de bonheur. Sous le puissant aiguillon de la passion, Margueritte avait trouvé à la fois du génie, de l’argent, l’âpre foi au travail qui déplace les montagnes. Dans une encoignure, l’armoire que vous avez vue à Versailles supportait