Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/169

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naufrage n’étaient pas séparés du monde vivant par l’immensité des mers, qui de nous leur refuserait quelque chose ? Eh bien, ce malheureux artiste est cela, un naufragé aux doigts crispés sur une planche qui sombre et que le gouffre engloutit. Partons pour Versailles.

Comme nous traversions le corridor noir qui conduit à la chambre de Margueritte, nous entendîmes une voix perçante et enrouée, rendue tremblante par la colère. C’était Céliane qui injuriait son mari, comme de coutume ; mais elle se tut en entendant frapper à la porte. Nous entrâmes, et tout de suite je vis cette affreuse créature, ô misère ! ajustée comme une baladine de tréteaux, avec des loques et des bijoux de cuivre, lissant de la main ses rares cheveux, roux sous la pommade, et nous regardant avec son œil stupide et féroce. À côté d’elle, sur la table, il y avait des oripeaux dorés qu’elle ravaudait, et sur lesquels elle cousait des paillettes, bleues de vert-de-gris. Comme l’autre fois, des casseroles, des plats non lavés étaient épars ; mais la mère, pâle, triste, très-digne sous ses cheveux blancs, surveillait, assise près de la cheminée, une marmite pleine d’eau, évidemment destinée à réparer ce désordre, et, tout en se livrant aux travaux du ménage, elle contemplait son fils avec des regards fous d’amour ; il n’était pas difficile de voir qu’elle avait aussi sa démence. Margueritte venait de refermer son armoire ; il marchait, et essuyait de sa main maigre ses lèvres pendantes, où perlaient encore des gouttes d’eau-de-vie.

— Pardon, monsieur Vandevelle, dit Céliane, de vous recevoir dans une chambre si mal rangée.

— C’est à nous, madame, de nous excuser, fit Vandevelle.