Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/171

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— Le scélérat ! s’écria Céliane, il ne mourra donc jamais !

Et toujours elle rapetassait ses oripeaux dorés.

— Ma vie ! mon âme ! chère, chère Aglaé ! murmura tendrement Margueritte.

Puis il retourna à l’armoire, et il parlait tout en buvant, ne s’interrompant plus de parler et de boire, tout en tournant la tête de tous côtés, comme un homme effaré.

— Il y a des artistes à qui leurs femmes mangent… mangent… mangent… (Il but.) le cœur ! Mais elle, mon Aglaé, ma chère… Aglaé… c’est le trésor… le trésor… (Il buvait.) de ma vie ! Sa beauté m’empêche de voir… de voir… (Il buvait encore.) le spectacle affreux… affreux… affreux.

Margueritte tomba ivre-mort. Cependant, il rouvrit encore les yeux, fit signe à Vandevelle de s’approcher, et lui dit d’une voix gutturale comme un râle de mort :

— Chez le chaudronnier ! chez le chaudronnier !

Nous voulions porter quelque secours à Margueritte, que sa femme laissait là par terre avec une indifférence sereine, ravaudant toujours ; mais la vieille mère courut à lui ; elle le prit dans ses bras comme un petit enfant, couvrit son front de baisers, et d’une voix extasiée :

— Laissez-le, dit-elle ; il est soûl !

Il est soûl ! Elle nous dit ces mots abominables du ton dont une jeune mère, le modèle de la Vierge à la Chaise, aurait dit : Il dort ! en parlant d’un ange enfant à la joue rose, couronné de ses boucles d’or ; et certes, cette tendre folie de la mère au cœur saignant était bien le dernier mot de l’épouvante humaine ! Céliane nous fit