Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/173

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— En effet, monsieur.

— Monsieur, reprit-il, mon voisin, le pauvre M. Margueritte, croit être votre débiteur. Vous savez que cet excellent homme a le cerveau affaibli. J’ignore donc si cette dette est réelle ou si elle n’existe que dans son imagination. Quoi qu’il en soit, il a entrepris de faire un tableau pour s’acquitter envers vous ; mais comme la vue de cet ouvrage commencé a mis dans une grande colère sa femme ou sa mère, je n’ai pas bien compris de laquelle il s’agit, M. Margueritte a profité d’une heure où il était seul à la maison pour apporter chez moi sa toile, son chevalet et ses brosses, et en même temps il m’a prié de lui acheter quelques couleurs. Depuis ce moment-là, chaque fois qu’il a pu s’échapper, il est venu travailler ici. Aujourd’hui, son ouvrage est terminé. Peut-être, monsieur, préférez-vous qu’il ne vaut pas votre argent. Moi, je ne puis juger cela qu’avec mon ignorance, il me semble que c’est vrai comme la vérité.

Le chaudronnier passa dans une pièce voisine, et revint apportant le chevalet sur lequel était posée une grande toile. Ô surprise de voir un pareil chef-d’œuvre ! Ce tableau, œuvre d’une vengeance involontaire et d’une haine inconsciente, c’était l’affreux intérieur de Margueritte, avec les plats non lavés, avec les casseroles sales, avec les oripeaux, les jupes d’acier, les bottines et les corsets avachis épars sur les meubles. Un seul personnage était là, Céliane ou plutôt Aglaé, cruelle, hideuse, cynique, chauve sous ses cheveux pommadés, levant amoureusement ses yeux sans cils et sans sourcils, gravée de la petite vérole sous son rouge, et ravaudant une étoffe rose ornée de paillettes vert-de-grisées, sur laquelle se détachait le bord noir de ses ongles. Dans un coin, on voyait le flacon d’eau-de-vie et le verre encore doré par