Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/19

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et capitonnés, et garnis de tapis d’Aubusson, qu’on n’entend plus marcher dans le corridor les pieds de marbre du fantôme.

Dans ces heureuses demeures, il y a aux portes de si jolis petits verrous et de si excellentes serrures anglaises, que le fantôme ne peut pas entrer et se casse les ongles contre le fer poli et le bois de chêne.

Aussitôt la jeune fille se met en quête des écriteaux de location. Un monsieur soigneux fait mettre à ses portes pour trois cent mille francs de serrures et de verrous, et elle-même, la folle Musette, elle s’enveloppe d’un divin peignoir de cachemire, elle tend à son amant un cigare bien sec et bien allumé, et elle dit à sa servante Julie de faire flamber un grand feu dans l’âtre. Puis elle allume les bougies, elle remplit les verres et elle saute de joie, et, frappant dans ses petites mains, elle interpelle le fantôme à travers la porte :

« Va ! lui crie-t-elle, va, Misère ma mie, morfonds-toi bien sur ma natte et casse bien tes ongles contre ma serrure ! Moi j’ai chaud et je suis heureuse ! J’ai mes bras passés autour du cou d’un beau jeune homme, et je chante devant le feu clair, et je bois le vin du Vésuve ; et voilà comme je suis à toi, abominable vision de mon enfance ! »

Bah ! peine perdue que tout cela.

Sitôt qu’un jeune amoureux imprudent ou une femme de chambre trop égrillarde laissent par hasard la porte entr’ouverte en allant acheter du tabac à fumer ou du cold-cream, la Misère entre.

Elle ouvre les fenêtres toutes grandes.

Elle va aux porte-manteaux, aux garde-robes, aux armoires à glace, aux armoires sans glace. Elle prend les toiles fines, les batistes, les linons, les dentelles, les soieries,