Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/197

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vous, il a vu familièrement dans ce petit salon mademoiselle Rachel, M. le comte Demidoff, M. Ballard du Vaudeville, et toutes les célébrités contemporaines ! Comme vous, il marche sur des tapis de la Savonnerie et prend son café dans une tasse de Saxe ! Il a été de moitié dans tous vos bonheurs et dans toutes vos joies. De votre vie il n’ignore qu’une chose, et quelle chose ! Il ne sait pas ce que c’est que de faire de la copie, l’heureux homme.

Ce fruit merveilleux de la gloire qui flotte devant vous comme le repas de Tantale, ce rocher du feuilleton que vous roulez incessamment comme Sisyphe, cette nue éclatante qui s’appelle la popularité, et que vous étreignez comme Ixion entre vos bras avides, il ne les connaît pas, si bien que ce fortuné gaillard passe comme vous depuis vingt ans à travers tous ces amours, toutes ces fêtes, tous ces événements gais ou tristes, toutes ces pantomimes et ces belles comédies racontées chaque matin, et qu’il n’a pas corrigé une seule épreuve ! Il ignore ce que c’est que le cicéro et le petit-romain ; et le plus bel Horace de Baskerville ne vaut pour lui que cinquante centimes, comme pour l’épicier du coin ! Que ne suis-je domestique !

— Tiens, s’écria un des assistants, vous avez dit cela comme : Que ne suis-je la fougère ?

— Ah ! messieurs, dit un peintre célèbre, ne rions pas. Après l’état de jolie femme, l’état de valet est bien le plus heureux que je sache. Vous savez que Gavarni a écrit si spirituellement : Quand on a dit qu’on a une femme, ça veut dire qu’une femme vous a ! C’est bien plutôt votre domestique qui vous a. Je vous jure ma parole d’honneur que le mien est parvenu, par ses intrigues, à me faire faire le portrait de sa maîtresse !