Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/200

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— Diable !

— M. Félix n’est pas breveté ?

— Si, il a inventé une eau Corinthienne qui fait pousser des cheveux.

— Où ça ?

— Dans le prospectus. Il écrit très-bien.

— Messieurs, dit le musicien, voilà bien ce qui prouve la faiblesse de notre esprit. Nous voilà tous convaincus que l’état de valet est le meilleur de tous, et cependant nous n’en voudrions pas. Arrangez cela ! D’ailleurs, qui servirions-nous ? Nos laquais ne voudraient jamais se faire maîtres. Il n’y a que nous qui soyons assez bêtes pour cela.

— Amis, s’écria le critique qui n’avait rien dit encore, ne calomniez pas l’humanité tout entière. J’ai connu un homme d’esprit qui avait le courage de… votre opinion !

— Vraiment ! fit l’ami pour lequel on avait apporté du rhum. Contez-nous cela, vous qui contez si bien !

Le critique s’arrangea et se pelotonna sur un divan, comme dut faire Énée avant de réciter six livres de L’Énéide et parla ainsi :

— Mon ami s’appelait, par un caprice du sort, Louis Jodelet. Je l’ai beaucoup aimé. C’était un charmant garçon. J’avais fait sa connaissance chez une demoiselle allemande avec laquelle j’aimais beaucoup à causer, parce qu’elle ne savait pas le français.

— Est-ce que vous savez l’allemand ?

— Non. Jodelet avait alors vingt-deux ou vingt-trois ans. C’était bien le plus singulier garçon qui eût jamais bayé aux grues de la place de l’Odéon au boulevart des Italiens ! Rêveur et folâtre, enthousiaste et résigné, hérissé de systèmes et d’utopies, il mettait le paradoxe,