Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/210

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être était assez savant pour sauver la marquise et pour jouer auprès d’elle ce beau rôle de sœur de charité littéraire.

— Connais-tu ton dix-huitième siècle ? lui demandai-je.

— Je crois que oui, me dit-il négligemment ; et il se mit à me parler de la cour de Louis XV comme s’il y avait vécu toute sa vie.

Chose étrange ! dans son insouciante existence de vingt-deux ans, Jodelet avait tout lu, et peut-être était-il arrivé au dégoût à force de science.

Le lendemain, quand je le présentai à la marquise, sous les ombrages de Bellevue, Jodelet, qui est né pour jouer tous les rôles, s’était mis en train d’avoir de grandes manières. Ses cheveux blonds, tourmentés par la bise, avaient l’air de la chevelure poudrée d’un marquis ; mon habit noir lui allait comme s’il eût été taillé pour lui par le tailleur de Richelieu ; il prenait du tabac à la rose et chiffonnait avec des airs de prince le jabot d’une de mes quatre chemises à jabot, seul héritage de mon grand-père !

Explique cela qui voudra ! Jodelet fut grand seigneur comme la marquise fut grande dame. Moi-même, en écoutant sa conversation, ébloui, fasciné, je me trouvai transporté dans ce monde de scepticisme et d’élégance, avec les chevaliers, les paillettes, les épées en verrouil, les femmes en poudre, en paniers, en taille mince bariolée de soie et de dentelles, avec les bichons, les abbés, les rondeaux redoublés et les vers à mettre en chant ! Parfois, dans cette causerie folle, étincelante, vague et poétique comme un rêve, je voyais bleuir autour de moi les forêts où le grand Watteau égare dans une lumière incertaine et divine son peuple de héros d’amour, frappés au cœur, mais cachant sous les livrées de la joie