Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’orgie, ces ivresses et ces combats horribles. Du moment où une révélation inattendue était venue lui dire : la vie n’est pas cela ! elle y avait cru avidement ; ces contes qu’elle avait lus étaient devenus pour elle l’histoire du monde. Aussi ne devait-elle jamais comprendre que le théâtre fût une fiction ; pour elle, ces féeries dans lesquelles elle jouait un rôle devaient toujours être des drames réels. Jusqu’au jour où elle mourrait, son cœur devait se serrer quand l’héroïne se débattait contre des monstres qui, pour elle, sortaient en effet de l’enfer ; et ce fut avec une émotion bien réelle, avec une croyance bien profonde, que, soutenue par un fil de fer auquel elle croyait moins qu’à ses petites ailes, elle s’arrêta au milieu des airs pour dire à son camarade Couturier : « Rassure-toi, prince Charmant, les puissances infernales se lasseront bientôt de te persécuter, et cette radieuse étoile dissipera les ténèbres qui te cachent la retraite d’Aventurine ! » La pauvre petite, en étendant la main pour montrer son étoile en strass tenue par une queue de laiton, croyait bien vraiment porter dans ses mains un astre du ciel ; illusion qui n’était pas même ébranlée lorsque le chef d’accessoires lui reprenait des mains cette verroterie.

Les critiques me demanderont sans doute comment ces rêveries ne s’enfuyaient pas au moment où tombait le rideau de manœuvre, et comment Minette continuait à y croire une fois que le décor était défait, les quinquets éteints, et lorsque les chevaliers vainqueurs avaient quitté la cotte de maille pour la houppelande sous laquelle ils daignaient se laisser admirer au café Achille. D’abord je répondrais que j’essaye de raconter et non pas d’expliquer cette douce et poétique folie ; mais n’y aurait-il pas là le sujet d’une remarquable étude psychologique ?