Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/241

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toutes les heures infligé à une enfant qu’on voyait déjà couronnée par les roses blanches de la mort, avaient attendri quelques honnêtes cœurs, et on fit des efforts pour intéresser le directeur à cette histoire fatale. Madame Paul, qui était entourée au théâtre de ce respect que savent imposer dans tous les mondes les caractères dignes, le supplia d’interposer son autorité.

— Hélas ! madame, lui répondit le directeur, je souffre comme vous de voir assassiner, sous mes yeux, cette créature angélique ; sa toux me bouleverse l’âme. Je donnerais tout au monde pour la sauver, mais j’y perdrais mes peines ! Vous me demandez de moraliser ces familles de comédiens ; mais j’ai déjà assez de peine à concilier leurs amours-propres et à obtenir qu’ils sachent leurs rôles ! À ce que je vous dis là, vous devez croire que je n’ai pas de cœur. Le seul être que j’aie aimé sur la terre, ma propre fille, une enfant de quinze ans, belle comme une sainte, s’est enfuie de ma maison pour suivre un ténor sans voix, qui portait des cols en papier et des gants verts ! Elle a subi toutes les horreurs de la pauvreté et de la faim, et elle est morte désespérée, sans soins et sans secours, avant que j’aie pu savoir ce qu’elle était devenue ! Madame, ma pauvre Marie, pour qui j’aurais donné, une à une, toutes les gouttes de mon sang, elle a été battue ! Elle a rendu le dernier soupir dans des draps déchirés et sales ! Tenez, nous vivons du théâtre, sachons vivre au théâtre tel qu’il est, et que Dieu prenne pitié de la petite Minette !

Dieu prit pitié d’elle en effet, car il lui envoya ce qui est le dernier espoir des malheureux et des désespérés, la seule illusion qui puisse faire vivre encore les âmes profondément blessées et saignantes d’une plaie mor-