Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/264

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elle en se mêlant d’une façon douloureuse à sa propre histoire, et chaque nuit le même rêve venait la jeter dans l’épouvante. Après avoir traversé mille embûches, avoir échappé à la dent des lions et aux maléfices des génies cachés dans les noires forêts, après avoir atteint le rivage sauveur malgré la fureur des flots battus par la tempête, après être sortie vivante des flammes débordées, elle arrivait enfin dans une clairière sauvage où la pluie tombait à torrents et où flamboyaient les éclairs. Là, son père était couché, comme elle l’avait vu, sans mouvement. À côté de lui Adolphina, le visage sanglant, les cheveux épars, tournait vers Minette ses yeux éteints. Des monstres aux gueules enflammées, aux dents menaçantes, allaient s’élancer vers eux pour les déchirer. En vain Couturier, couvert d’une armure d’or, agitait son épée pour les mettre en fuite ; en vain madame Paul, accourue dans les airs sur une nuée étincelante, étendait sa main protectrice ; les parents de Minette ne pouvaient être sauvés que par elle, car elle seule possédait le talisman qui pouvait mettre en fuite les visions infernales.

Ce talisman, c’était l’amulette que lui avait donnée madame Paul.

Mais au moment où elle voulait y porter la main, une femme que Minette revoyait chaque nuit avec les mêmes traits, se dressait devant elle, et, la glaçant de frayeur, la forçait à rester immobile. Alors elle s’éveillait, les yeux rouges, le gosier brûlant, et comme étouffée. Même après qu’elle avait ouvert sa fenêtre, il se passait cinq ou six minutes avant qu’elle pût respirer avec liberté, et alors elle toussait si longtemps que parfois elle tombait inanimée sur le bord de sa couchette. La femme que Minette voyait ainsi était belle, mais de cette beauté cruelle