Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/274

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Ô Julien, savez-vous qui ? Sylvanie de Lillers ! allez le consoler, n’est-ce pas ? Il faut qu’il vous dise tout. Oh ! il ne refusera pas, j’en suis sûr, il vous aime tant !

— Hélas ! madame, répondit Julien, vous réveillez toutes mes craintes. Notre pauvre Raoul est perdu. Vous connaissez madame de Lillers ; vous savez son admirable beauté, sa pâleur qui la fait ressembler à une morte. Eh bien ! jamais aucune émotion n’a mis de roses sur ce visage impérieux ; ses dents sont des perles, mais elles n’ont jamais souri. Ses yeux verts et profonds comme la mer ne s’animent jamais sous l’arc inflexible de ses sourcils, et le vent lui-même ne ride pas ses magnifiques cheveux. Tout est mystère chez cette femme. Quand M. de Lillers mourut, à la suite d’un duel toujours inexpliqué, la belle Sylvanie n’a pas sourcillé en voyant la tête sanglante et fracassée de celui qui la rendait heureuse. Hélas ! voilà la femme que Raoul aime d’un tel amour !

— Ah ! qu’ai-je fait ! s’écria madame de Créhange frappée d’une réflexion soudaine, elle doit venir ici, elle ! et c’est demain même. Ô Julien, j’ai pu ordonner une fête et inviter madame de Lillers, j’étais donc folle ! Mais non, certes, je ne veux pas voir cette créature maudite. Grâce au ciel, il est encore temps de prévenir ce nouveau malheur : je vais écrire !

— N’en faites rien, madame. Au point où en est venue la passion de ce malheureux enfant, l’absence est funeste. La froideur de Sylvanie le déchire, mais il meurt en ne la voyant pas.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria encore madame de Créhange, véritablement désolée et semblable à une Niobé qui voit tomber son dernier enfant.