Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près de la calèche de Sylvanie ; et elle lui répondait avec toutes ses grâces, elle était belle pour lui et ne semblait plus me connaître.

Je ne sais combien cela dura de temps ; mais si cela avait duré un jour de plus, je serais mort. Enfin un soir, un soir d’été, je m’en souviens, nous étions seuls, il faisait nuit ; elle s’était amusée pendant des heures entières à me torturer avec ses jalousies feintes, à m’élever sans cesse dans les cieux d’or de l’espérance pour me faire tomber après dans les abîmes sans fond du doute. Je n’y tenais plus, j’avais le cœur brisé, et je sentis tous les vagues bouillonnements de l’orgueil se révolter dans mon sein comme un océan.

— Mais, madame, m’écriai-je enfin avec épouvante, je ne vous ai rien demandé, moi !

— Mais, moi, je t’aime, Raoul ! me dit-elle avec un grand cri.

Et j’étais déjà à genoux, et elle était déjà près de moi, ses deux mains dans mes cheveux, ses deux yeux dans mon cœur. Oh ! qu’elle était belle alors, Sylvanie ! La chambre était obscure ; et pourtant Sylvanie, toute radieuse, était dans la lumière comme l’ange de Rembrandt !

Eh bien, Julien, te le dirai-je, malgré l’extase et le ravissement qui m’inondaient, ce mot charmant qu’elle m’avait dit tout haut et la première, ne me fit pas tout le bien que j’aurais cru, quand je songeais à ce double aveu comme à un bonheur inespéré. Mais comme elle me rassura ! Comme elle avait bien l’esprit du cœur ! Ce soir-là elle fut tout amour ; je me crus transfiguré, et en la quittant il me sembla que j’avais des ailes.

Eh bien ! dès que l’air froid de la rue frappa mon front, tout l’édifice de mon bonheur s’écroula comme