Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/282

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— Oh ! oui, reprit Raoul, qui de tout cela n’entendit qu’un mot, la jalousie, c’était mon mal ! mal horrible que tout envenime. Oh ! je sais tout ce qu’on cherche, tout ce qu’on découvre, tout ce qu’on suppose quand on est jaloux ! les mots surpris, entendus à demi, les espionnages suivis d’affreux remords, les lettres cachetées qu’on tourne et retourne dans la main en écumant de rage, les nuits passées sous une fenêtre, les pieds dans la boue ; et les femmes qui lui ressemblent et qu’on voit pour elle d’un bout à l’autre du boulevart, ou aux Champs-Élysées dans une calèche qui s’envole ! J’ai compris toutes les hyperboles des poëtes. J’étais, comme ils disent, jaloux de l’eau de son bain où mon imagination faisait ondoyer près de son beau corps une naïade amoureuse ; j’étais jaloux du fruit vermeil que déchiquetaient ses dents d’ivoire ; jaloux de la brise qui vient soulever follement ses petits cheveux, tendres comme un duvet, qui estompent les tempes et la nuque, et que le peigne oublie. Quel tourment que la jalousie qui flaire, qui poursuit, qui traque une proie invisible et qui cherche à dévorer, et qui ne sait à quoi s’en prendre !

— Et quand on le sait, dit Julien, n’est-ce pas cent fois pis encore ? Si tu avais été jaloux de quelqu’un !

— Je l’ai été, reprit Raoul. Il y avait habituellement chez madame de Lillers un jeune homme parfait, M. Armand de Bressoles, que j’ai aimé d’abord comme un frère. C’est un jeune officier de spahis, grave comme les hommes qui ont souvent vu la mort de près, et doux comme ceux qui l’ont affrontée gaiement. Son esprit, qu’il semble vouloir cacher, se trahit par des lueurs exquises, et l’on résisterait difficilement à l’expression de loyauté virile qui anime son fier et mâle visage. Nous