Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/30

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et je couche avec ! Toi, n’est-ce pas ? tu as vingt-deux ans, tu l’avoues, et tu te pares de ton éclatante jeunesse. Ces magnifiques sourcils dont je te parlais, et qui sont une de tes beautés, tu les vois sans crainte épaissir encore et se rejoindre en arc, comme ceux d’une femme amoureuse et jalouse. En s’achevant, tes formes sont devenues luxuriantes et splendides comme celles de la maîtresse de Titien, et Molière ne s’en plaint pas. À seize ans, tu as aimé, et pour ceux qui te voyaient, pareille à une poétique bacchante des anciens âges, ardente et franche Bourguignonne de Joigny, fille de vignerons à la noire chevelure, il aurait pour ainsi dire semblé monstrueux qu’il en fût autrement. Mais moi ! je le répète, j’ai dix-sept ans et il faut que j’aie dix-sept ans ; j’y suis condamnée. Mais, me diras-tu, pendant combien de temps ? pendant toujours ! Mais si on se souvient que j’avais dix-sept ans l’année dernière, et que depuis cela il s’est écoulé une année ? Ah ! oui, question terrible ! Eh bien ! voilà la réponse, il ne faut pas qu’on s’en souvienne. Mais si mon cœur parle, si mon cœur bat ? Il ne faut pas qu’il batte ! Rose, Emma et Adèle n’ont pas de cœur chez M. Scribe, et moi je suis Rose, je suis Emma, je suis Adèle ! Tout au plus peuvent-elles répondre en baissant les yeux aux madrigaux murmurés par un fiancé qui est leur cousin ou par un cousin qui est leur fiancé, sur l’air de La Robe et les Bottes, et c’est ce que je peux faire comme elles si le cœur m’en dit, car ma mère m’a déniché pour cela un cousin qui est né avec des gants, et qui copie ses habits, ses cravates, son sourire et jusqu’à ses moustaches absentes et à ses airs de tête sur ceux de M. Berton, du Gymnase !

» Sans ironie, à présent, Jacqueline, voici la réalité de mon atroce existence. Je me nomme, sur mon acte de