Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/307

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ces vraies grandes femmes, comprenant l’héroïsme de la vie moderne, auprès desquelles Sémiramis et Cléopâtre sont de petites pensionnaires à ceintures bleues, bonnes tout au plus à faire l’amour sentimental avec Werther, en mangeant des tartines de confitures. Moi, je connais une femme qui, à quatorze ans, a pris dans le monde, dans le grand monde, un homme de génie, riche, audacieux et bon, et qui en six mois l’a envoyé au bagne.

Ces paroles mutines furent prononcées d’une façon si magistrale et si farouche, que lord Sidney ne put s’empêcher de regarder avec une vive curiosité la belle enfant qui les avait dites.

C’était une jeune fille de seize ans, rousse comme un coucher de soleil, avec la peau mate et dorée, les sourcils presque bruns et les yeux d’un bleu sombre et étoile comme les cieux des belles nuits d’été. La bouche fine, ardente, pareille à une rose rouge trempée de pluie, laissait voir en s’ouvrant une de ces belles mâchoires de bête fauve que la nature donne aux femmes nées pour déchirer et dévorer les forces vives de la cité, l’or, l’amour et la vie. Tout cet ensemble imprégné, pour ainsi dire, d’une volupté amère, le corps agile, les mains et les pieds d’un grand style plébéien, inspirait un effroi plein de charmes et de convoitise. Aussi, mademoiselle Régine ne déparait-elle rien dans la salle des Titans sculptés, et vue d’une certaine façon, elle avait assez l’air d’une femme pour laquelle on met Pélion sur Ossa.

L’autre femme ressemblait à toutes les actrices qui ont joué en province les rôles de mademoiselle George.

— Mesdames, leur dit Sidney, sachez d’abord que le destin a été pour moi un second M. Scribe ; il a abusé