Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/314

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écarlates et orangés, une palette plus variée que celle de Véronèse ! Mais posséder les vernis, ce n’est rien ! tout le monde les a aujourd’hui ; le sublime du métier, c’est de savoir saisir les nuances intimes de chaque espèce de pattes, et de les habiller chacune selon son tempérament !

Dans cette science difficile, qui égale, si elle ne le dépasse, l’âpre génie du portraitiste, je suis, sans modestie, le premier et le seul, et je me flatte qu’après moi, il n’y aura pas de vernisseur de pattes de dindon, pas plus qu’il n’y a eu de poëte tragique après Eschyle.

— Eh ! quoi ! dit lord Sidney, il y a vraiment dans le monde tant de choses que nous ne savons pas !

— C’est à ce point, observa mademoiselle Régine, que j’en suis étonnée moi-même. Mais j’aperçois M. Silvandre qui réclame son tour.

— Oh ! moi, dit Silvandre avec la voix mélancolique d’un hautbois sous les feuillages, je suis parvenu à force d’intrigues, à créer dans ma mansarde, rue Pascal, n° 22, au-dessus de l’entre-sol, la porte à gauche, une prairie artificielle ! Là, je possède un petit troupeau, que je garde en jouant de la musette, et je vis du produit de son lait.

Je suis berger en chambre.

— Diable ! dit lord Sidney, berger en chambre, celle-là demande à être expliquée !

— Elle ne s’explique pas, murmura Silvandre en regardant les plafonds d’un air rêveur.

— Alors, puisqu’elle ne s’explique pas, dit d’un ton de courtisan le personnage au nez bourbonien, permettez-moi de prendre la parole, car, après les états merveilleux de ces messieurs, je crains pour l’effet du mien,