Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/32

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avec l’arrière-pensée que je tentais une chose impossible. Ces douces confidences, qui s’échangent aux clartés amies de la nuit et parmi ses ombres silencieuses, c’est le jour que je les ai faites, au grand soleil qui les effare, dans une maison où j’entrais voilée, et d’où je sortais tremblante, masquée avec effroi de ma pudeur jouée et de mon enfance d’emprunt. Et pourtant, chaque fois que j’ai essayé ainsi d’échapper à ma solitude j’espérais bien que ce serait pour toujours ; mais chaque fois il m’a fallu rompre en me laissant juger comme la dernière des femmes sans cœur, car tu connais notre situation ?

» Dix mille francs au moins par année pour la toilette de théâtre et la toilette de ville, c’est ce que je dépense au bas mot pour être pauvrement vêtue au milieu des grandes actrices, parmi lesquelles je compte. Reste donc cinq mille francs pour vivre, ma mère, ma tante et moi, dans un appartement qui en coûte déjà deux mille, et pour payer la pension de ma petite sœur. Il arrive toujours un moment où les dettes s’accumulent au point de rendre la vie impossible. Alors il faut avoir recours à ces ressources mortelles que la vie de théâtre nous impose, et accepter cet or que le Vice et la Richesse nous vendent si cher. Mais, comme je suis une ingénue ! on obtient de notre sauveur que tout se passera mystérieusement et qu’il ne fera pas trophée de ma défaite. On obtient un congé du directeur, et je vais passer quelques semaines chez une parente.

» C’est là que je suis en ce moment ; chez quelle parente ? dois-je te la peindre ? Dans un nid doré de Villeneuve-Saint-Georges, qui a coûté deux millions à embellir ! Et, comme je te le disais, c’est pour venir chez cette parente que j’ai rompu le seul amour pour lequel j’aurais pu vivre ; j’ai affronté le mépris du seul homme