Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/320

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À cette révélation foudroyante, tous les convives baissèrent la tête.

— Que ne parliez-vous plus tôt, s’écria lord Sidney, les dix mille livres de rente sont à vous, et bien à vous ! Mais comment ferez-vous pour mourir à l’hôpital ?

— Milord, dit finement Régine, je vais prier monsieur de m’offrir son bras. Et d’un geste de chatte, elle ramassa les deux cent mille francs et les fourra dans la poche du jeune homme.

Le bouquet et les yeux de mademoiselle Régine étincelaient comme des myriades d’étoiles frissonnantes. Elle prit la main de son cavalier improvisé. — Et votre fou ? lui demanda-t-il en tremblant d’amour.

— Bah ! répondit la terrible Parisienne avec un cynisme à effaroucher le marquis de Sade, plus on est de fous, plus on rit !

On se leva pour partir et on choqua les verres une dernière fois. Les bougies se mouraient et éclairaient la salle des Titans de reflets ensanglantés. Lord Sidney, sa coupe élevée dans sa belle main, entonna le refrain désespéré du poëte d’Albertus : Ah ! sans amour s’en aller sur la mer !

Cette grande imprécation fut répétée en chœur, et les convives disparurent comme des ombres par les portes de la boiserie. Comme elles se refermaient, lord Sidney jeta un dernier regard sur ses convives.

— Oh ! murmura-t-il, tandis que ses yeux erraient sur les bas-reliefs de la salle, ceux-là aussi sont des Titans vaincus !

M. Tobie s’avançait en souriant pour parler à son maître, mais celui-ci le congédia d’un geste. Resté seul, il s’écria : Hélas ! il faut donc que de pareilles choses