Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/38

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bords du Mississipi, à quelque pont de palmiers et de lianes ? Paris ne songe pas à tout cela. Il n’a qu’une pensée, il n’a qu’un rêve, il n’a qu’une idée fixe.

Paris, écoutez, je n’en rabattrai rien ! Paris tout entier vit dans une folie ardente, inguérissable, féconde, sublime, nourrice d’œuvres et d’efforts : la folie de l’Amour.

Être aimé, aimer au milieu du luxe, tel est l’Idéal auquel sont gaiement sacrifiées toutes ces existences que broie l’impitoyable meule du Travail incessant. À Paris, derrière le milieu qu’on ambitionne, il y a toujours une figure de femme qui sourit et qui vous appelle avec le geste délicieux des sirènes.

Dans les villas et dans les châteaux qu’on veut gagner au prix des innombrables martyres de l’Art et de l’Industrie, d’avance on dresse pour elle un berceau de feuillage et un banc de verdure ! D’avance, dans le boudoir où doivent marcher ses pieds délicats, on étend sous ses pas les tapis d’Aubusson, et on cloue sur le mur les soieries de la Chine aux mille oiseaux !

Ici les femmes savent comme nous quel est le but de la vie. À Paris seulement, elles sont déesses, adorées bien plutôt qu’aimées, et aussi elles ont la confiance et le respect de leur divinité. Sans cesse embellies et lavées à l’immortelle Jouvence, elles osent s’aimer elles-mêmes, et tâchent de gravir marche à marche l’escalier de cristal de la Perfection.

Et, pour nommer un chat un chat, voilà pourquoi l’homme qui possède, soit à titre de mari, soit à titre d’amant, une vraie femme, envié, admiré, célébré, haï, chansonné, traîné dans la boue et porté aux nues, est ici un personnage comme le savant, comme le millionnaire, comme le grand poëte, et plus que ces gens-là ensemble, puisqu’il se promène en pantoufles dans l’Eldo-