Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/50

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— » Laisse-moi, dit-elle, l’amitié n’est pas assez pour moi. Y songes-tu ! me sentir, image de pierre, pressée entre des bras vivants et que j’adore ! voir ses transports et ne pas les partager ! ce serait trop souvent mourir ! Non, je m’abandonne à ma destinée, et si jamais ce simulacre est vivant, si cette neige s’anime, il faudra bien qu’Émile me pardonne, dusse-je m’ensevelir cinq ans dans un couvent avant de toucher sa main, dusse-je marcher nue sous les pluies du ciel pour laver mes fautes ! »

Et Valentine l’a fait comme elle le disait. Fouettée par le vent de sa folie, elle a commencé sa course furieuse et insensée à travers le monde.

Un jour, tout Paris était agenouillé devant le grand pianiste qui prête sa passion aux touches imbéciles. — « Oh ! se disait Valentine, ce génie fait vivre le bois et l’ivoire, il éveille dans ce coffre ridicule des torrents d’harmonie, des larmes, mille douleurs poignantes, tout un monde ! Ne saura-t-il pas me faire tressaillir comme ces cordes de laiton et ces morceaux d’ébène ? Il transfigure la matière inerte ; celui-là saura le mot que je cherche. »

Mais le pianiste ne le savait pas.

Ou bien elle pensait : « Cet ingénieur a jeté des ponts d’un rocher à l’autre sur un océan irrité et sauvage ; il sait dompter la nature et faire l’impossible ! » Elle se disait : « Ce statuaire a surpris le secret de la vie ! Ce comédien a l’art de faire frissonner les nerfs par sa voix émue et sympathique ! Ils trouveront la femme cachée en moi. »

Mais tous ces enchanteurs continuaient à faire leurs prodiges, sans pouvoir conjurer la malédiction céleste.

Elle allait au matin dans le grenier où l’on est si bien