Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/51

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à vingt ans, et où il y a trois pieds d’un vers charbonnés sur le mur ! Elle accrochait son châle à la fenêtre en guise de rideau, et elle s’asseyait sur l’humble couchette, et elle disait : — « Je suis Lisette ! parle-moi de l’amour et du printemps, et chante-moi des jeunes chansons ! »

Elle disait aux soldats : — « Venez, que je vous verse du vin bleu sur la table de la guinguette, et faites-moi voir comment vous embrassez la Victoire avec vos mains franches et brutales ! » Elle disait aux valets, aux esclaves : — « Montrez-moi ce que valent vos révoltes, et s’il y a de quoi s’enthousiasmer pour vos haines ? » Elle suivait les saltimbanques, les déshérités de l’art, pour savoir si on peut s’enivrer de pauvreté et de grand air en mirant tous les soleils dans le miroir des paillettes vagabondes ! D’autres fois, elle achetait des palais, et à tous les murs elle faisait percer des fenêtres pour y jeter son or et l’or des vieillards empressés autour d’elle, et l’or des jeunes gens asservis à ses caprices, l’or du Vice, l’or de l’Usure, le trésor du riche, l’épargne du pauvre ! Mais toujours son cœur restait immobile dans sa poitrine.

Et voici quelle fut la plus grande démence de Valentine : elle pensa que peut-être elle trouverait dans un mariage bien bourgeois et bien calme, entre le pot-au-feu et le livre de cuisine, ce que lui avaient refusé les fantaisies effrénées ! « Sans doute, dit-elle, la fleur bleue de l’Idéal fleurit dans quelque champ paisible, à l’ombre de la modeste haie d’aubépine, et non pas dans les forêts luxuriantes, au bord des grands lacs, sous les guirlandes de lianes et les architectures de feuillage. » Et, à la grande joie de sa mère, Valentine se maria avec M. Anacharsis, riche fabricant de Chemins de la Croix