Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/59

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et respect ; mais cent fois, derrière un de ces immenses portants que fabriquaient nos décorateurs, ou sur un escalier, ou dans l’ombre vague d’un couloir, il me sembla voir des mains presser furtivement la sienne ou lui glisser un billet plié menu, ou même je croyais entendre des mignardises de tutoiement murmurées à voix basse, ou le susurrement d’un ardent baiser qui faisait frissonner mes oreilles surprises. Mais, comme toutes les fois que le témoignage de nos sens nous dénonce un fait que notre raison se refuse à admettre, je me forçais à douter du témoignage de mes sens. Une autre circonstance vint me plonger dans une grande perplexité. Il arriva que pendant la durée de nos interminables représentations, des hasards de rubans ou d’épingles m’amenaient deux ou trois fois en une seule soirée dans la loge de Berthe pendant les entr’actes. Chaque fois je trouvais assis à côté d’elle un de nos camarades ou quelque auteur, ou même un artiste étranger à nous, en qui j’observais l’attitude d’un ami de cœur discret et bien élevé, s’attachant à ne pas compromettre celle qui l’a choisi. Ce qui me frappa le plus, c’est qu’à chaque visiteur nouveau je voyais à Berthe un nouveau déshabillé, des peignoirs délicieux, blancs ou à fleurettes, et je me demandais si l’on avait caché les magasins de la Ville de Paris et des Villes de France dans la petite armoire de sa petite loge ! Et en voyant l’inaltérable sérénité de ses traits, tandis que tant d’impressions équivoques revenaient à ma pensée et la sillonnaient comme un éclair, je me sentais tout indécise, cherchant si j’avais affaire à un ange immaculé ou à une courtisane sans frein.

« Un soir, par un hasard très-naturel, car on jouait en ce moment-là sur la scène un tableau de bataille où il se distribuait de grands coups d’épée sur les boucliers en