Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/70

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La Nuit et les Parques lui firent des sourcils noirs et de grands cils noirs.

Ainsi l’ouvrage était bon. Et toutefois, avant de l’exécuter en marbre, il fallait compléter le modèle et lui mettre les deux petites choses qui lui manquaient, l’intelligence et l’âme. Mais l’atelier était si mal en ordre ! On eut beau fouiller les bahuts et retourner les coffres, impossible de trouver les intelligences et les âmes, et de deviner où Jupiter avait pu les ranger.

— Pour ce qui est de l’âme, dit Amour, j’en ai bien une sur moi, assez médiocre, à la vérité, comme toutes celles que je donne, et je puis bien en faire cadeau à Galatée ; quant à l’intelligence, cherchez !

Mais on n’eut pas le temps de chercher. On entendit Jupiter qui fredonnait sa chanson de Vert-Galant et de Diable-à-Quatre en montant l’escalier ; ce fut un sauve-qui-peut général.

Galatée resta belle, harmonieuse, habile, virginale, charmeresse et féroce, mais idiote.

Telle est, en réalité, l’origine de mademoiselle Juliette Caron, la même qui, devant nous tous, est devenue si célèbre comme danseuse d’abord, puis comme comédienne à l’Opéra et au théâtre des Variétés, sous le nom d’Irma Caron, qu’elle a adopté ; la même aussi qui doit se marier la semaine prochaine avec un écrivain célèbre, s’il faut en croire les journaux habituellement mal informés.

Phénomène véritablement inouï, dont l’absence se fait cruellement sentir dans la ménagerie rassemblée à grands frais par Daumier, cette jeune artiste unit dans des proportions fabuleuses la rouerie la plus machiavélique à une stupidité qui dépasse tous les délires les plus passionnés de la bêtise extravagante. Pour faire entrevoir son immense astuce, je raconterai tout à l’heure brièvement