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XI

LA VIEILLE FUNAMBULE


— Hébé Caristi —

Celle-là a été la sœur des comètes et des étoiles ; elle a fouetté de sa chevelure l’azur immense. Comme les dieux, elle s’est promenée dans l’éther, en déchirant les nuages avec son front olympien. Sa gloire a duré un quart de siècle, et pendant ce temps, suffisant pour faire et défaire tant de royaumes, de duchés et d’empires, elle a vu sous ses pieds le bandeau des rois et la neige des cimes, et elle a pu arrêter dans ses mains les oiseaux du ciel. Pendant de longs jours, cette funambule ivre d’orgueil a voltigé sur sa corde perdue dans l’empyrée, où les applaudissements confus des peuples montaient vers elle comme le murmure d’une mer domptée et frémissante. Hébé Caristi est morte récemment dans sa soixante-treizième année, car son acte de naissance porte la date fabuleuse du 22 juillet 1781. Elle est morte obscure, oubliée, ignorée ; et rien ne montre mieux le néant de la célébrité artistique, briguée si chèrement.