Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se montra sentimental et abaissa l’art au niveau de ses frères infirmes. Si les choses eussent tourné autrement, les poëmes des hommes de génie auraient pu être tout à fait beaux, et ceux des hommes médiocres auraient été tout à fait mauvais et absurdes, morts en naissant ! Eh bien, quoi de mieux ! En fait d’art l’indulgence et la pitié sont des crimes, et en quoi peut-il être utile que les imbéciles fassent des vers supportables — pour ceux qui peuvent les supporter ?

Que nous ayons perdu un trésor de nuances d’harmonies délicates à la suppression de l’hiatus, cela n’est pas à démontrer : il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir les poèmes du xve et du XVIe siècle. À leur défaut, la question serait tranchée par les effets charmants que le révolté La Fontaine a parfois obtenus à l’aide de l’hiatus ; que dis-je ! elle le serait par ce seul hiatus adorable d’Alfred de Musset :


Tu m’amuses autant que Tiberge m’ennuie.
Comme je crois en toi ! que je t’aime et te hais !
Quelle perversité ! quelle ardeur inouïe,
Pour l’or et le plaisir ! Comme toute la vie
Est dans tes moindres mots ! Ah ! folle que tu es,
Comme je t’aimerais demain si tu vivais !

Alfred de Musset. Namouna. Chant I.

Toutefois les mauvais poètes n’avaient gagné