Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/137

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tout dans le Kaïn, qui reste le plus parfait modèle de ce que pourra être aujourd’hui le style épique :


Thogorma dans ses yeux vit monter des murailles
De fer d’où s’enroulaient des spirales de tours
Et de palais cerclés d’airain sur des blocs lourds ;
Ruche énorme, géhenne aux lugubres entrailles
Où s’engouffraient les Forts, princes des anciens jours.

Ils s’en venaient de la montagne et de la plaine,
Du fond des sombres bois et du désert sans fin,
Plus massifs que le cèdre et plus hauts que le pin,
Suants, échevelés, soufflant leur rude haleine
Avec leur bouche épaisse et rouge, et pleins de faim.

C’est ainsi qu’ils rentraient, l’ours velu des cavernes
À l’épaule, ou le cerf, ou le lion sanglant.
Et les femmes marchaient, géantes, d’un pas lent,
Sous les vases d’airain qu’emplit l’eau des citernes,
Graves, et les bras nus, et les mains sur le flanc.

Elles allaient, dardant leurs prunelles superbes,
Les seins droits, le col haut, dans la sérénité
Terrible de la force et de la liberté,
Et posant tour à tour dans la ronce et les herbes
Leurs pieds fermes et blancs avec tranquillité.

Le vent respectueux, parmi leurs tresses sombres,
Sur leurs nuques de marbre errait en frémissant,
Tandis que les parois de rocs couleur de sang.
Comme de grands miroirs suspendds dans les ombres,
De la pourpre du soir baignaient leur dos puissant.