Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/157

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limite qui sépare le Drame de la Tragédie est parfaitement connue et définie. D’une part le Drame n’est pas tenu d’être religieux et national au point de vue des spectateurs qui l’écoutent ; de l’autre, dans le Drame, le Lyrisme est mêlé et contenu dans la trame du vers alexandrin ; tandis que dans la Tragédie il se sépare du dialogue et paraît sous sa forme type d’Ode et de Chant divisé en strophes. Ceci est le point capital ; car la forme de l’Ode étant mise à part, le Drame peut s’élever aux plus sublimes élans lyriques, et, pour s’en convaincre, il n’y a qu’à parcourir le Théâtre de Victor Hugo :


Oui, ce soleil est beau. Ses rayons, — les derniers ! —
Sur le front du Taunus posent une couronne ;
Le fleuve luit ; le bois de splendeur s’environne ;
Les vitres du hameau là-bas sont tout en feu ;
Que c’est beau ! que c’est grand ! que c’est charmant, mon Dieu !
La nature est un flot de vie et de lumière !…

Victor Hugo. Les Burgraves, Première Partie, Scène III.


De ma vie, ô mon Dieu ! cette heure est la première.
Devant moi tout un monde, un monde de lumière,
Comme ces paradis qu’en songe nous voyons,
S’entr’ouvre en m’inondant de vie et de rayons !
Partout en moi, hors moi, joie, extase et mystère,
Et l’ivresse, et l’orgueil, et ce qui sur la terre
Se rapproche le plus de la divinité,
L’amour dans la puissance et dans la majesté !

Victor Hugo. Ruy Blas, Acte III, Scène IV.