Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/272

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« Connais-toi toi-même, » dit le sage. Tu as un moyen infaillible de te connaître et de te juger toi-même. Toutes les fois qu’il t’arrive de plaire aux sots, à quelque degré que ce soit, sache bien que tu es tombé par quelque côté dans la vulgarité et dans la niaiserie. Ne dis pas alors : « Les sots m’admirent ; c’est que mon génie les a vaincus, c’est qu’ils sont bien forcés de se rendre à l’évidence ! » Dis au contraire : « Les sots m’admirent ; c’est que je commence à leur ressembler. » Tu n’as d’autres juges que les bons ouvriers et les maîtres de ton art, et tout encouragement qui ne vient pas d’eux est un piège tendu à ton amour-propre et à ta crédulité.

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Dans la Poésie Française, la Rime est le moyen suprême d’expression et l’imagination de la Rime est le maître outil. Souviens-toi que, quand ta rime devient moins parfaite, c’est que ta pensée est moins haute et moins juste. Ne te dis pas hypocritement : J’ai sacrifié la Rime à la Pensée. » Dis-toi : « Mon génie est voilé, obscurci, puisque je vois s’obscurcir ce qui en est le signe visible. »

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Ne te trompe ni sur ton art ni sur l’art en gé-