Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/291

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plit une œuvre nécessaire, indispensable, fatale ; fatale plus qu’on ne pense, car on ne sait pas assez comment chaque poëte vient à son heure, pour remplir uije mission définie d’avance et à laquelle ni les circonstances ni lui ne peuvent rien changer. Les uns, et ceux-là sont les heureux entre tous, ont été élus pour achever les poëmes définitifs et durables ; d’autres n’apparaissent que pour préparer la venue de ceux qui suivront, et nul travail humain ne modifierait cet ordre providentiel. La poésie de Ronsard et de Du Bellay ne pouvait pas plus donner les résultats définitifs que le Drame réalise au XVIIe siècle et l’Ode au xixe que la monarchie de Charles IX ne pouvait être celle de Louis XIV. Les faits de l’histoire littéraire s’enchaînent aussi impérieusement que les faits de l’histoire politique ; et biffer, à l’imitation de Malherbe, l’œuvre poétique de Ronsard, ce serait renoncer à sa succession littéraire, c’est-à-dire à tout ce que notre époque a produit de plus beau. Malherbe le pouvait, lui qui à aucun titre ne fut un prophète, et qui n’eut pas même l’instinct des choses à venir ; mais nous, qui avons pu recueillir la moisson mûre, comment oserions-nous proscrire celui qui fut le laboureur et le semeur ? Il n’est plus temps de nous contenter d’opinions toutes faites par les