Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/298

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toire, étaient tous en manuscrit, enfouis dans les bibliothèques et complètement oubliés ; on n’aurait trouvé personne pour les déchiffrer et les lire. » Rien à répondre à un raisonnement si juste. Et d’ailleurs qu’importe si Ronsard n’a pas pu puiser lui-même aux véritables sources de notre poésie épique ? Il aura fourni sa langue colorée, sa versification éclatante et solide à celui de nos écrivains à venir qui fera pour nous l’œuvre rêvée par Brizeux et exécutée en Angleterre par Tennyson, de la renaissance chevaleresque. Il ne faut pas voir chaque homme comme un tout fini et isolé dans cette grande famille solidaire des poëtes où chacun hérite de l’autre, et où le vainqueur d’aujourd’hui peut devoir ses plus brillants faits d’armes à l’armure solide et impénétrable qu’il a héritée de son aïeul.

Pour moi, je ne saurais songer sans admiration au moment où, selon la belle expression de Du Verdier[1], on vit une troupe de poëtes s’élancer de l’école de Jean Daurat comme du cheval troyen. Page de cour à neuf ans, après avoir suivi le roi Jacques en Écosse, Lazare de Baïf à Spire et Langey en Piémont, Ronsard, atteint de cette bienheureuse surdité tant célé-

  1. Cité par M. Sainte-Beuve.