Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/320

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Poëte, il le fut, non pas dans son œuvre seulement, mais dans sa vie, se refusant à toute chaîne, n’acceptant aucun devoir sinon envers la Muse, car il comprenait qu’il lui devait chaque souffle de sa respiration et chaque goutte de son sang, n’approchant de chez les rois qu’avec répugnance, et mendiant plutôt que de vivre, car La Fontaine chez Madame de La Sablière ou chez Hervart, c’est encore la besace et le bâton d’Homère. S’il peut adresser au Dauphin, à un enfant dont la grâce le charme, ces admirables dédicaces qui resteront comme des modèles de louange et d’élégance, s’il trouve Les Nymphes de Vaux, cette élégie en pleurs, pour Fouquet abattu, et s’il écrit des contes nouveaux pour le petit nez retroussé de la duchesse de Bouillon, en revanche, ni les instances de madame de Montespan, ni celles de madame de Thianges ne peuvent le rapprocher du grand roi. On a accusé, on accuse encore La Fontaine de basse flatterie ; est-il possible que quelqu’un ait sincèrement méconnu la sombre ironie et la résignation désespérée qui se cachent si mal sous la flatterie de commande ? Ainsi Hésiode et Homère flattent les Dieux implacables, persécuteurs des malheureux mortels voués aux souffrances et à la mort ; ainsi La Fontaine lui-même flatte le pouvoir souverain, ne