Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/324

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jets pour les croquer à belles dents en cet antre où l’on entre si bien et d’où l’on sort si peu, le courtisan au museau pointu conseillant la robe de chambre sanglante, le Héron faisant fi d’un maigre dîner, le Loup préférant la solitude affamée au cou pelé du Chien courtisan, le paysan du Danube cachant sous sa ceinture de joncs marins un cœur où vit le souffle des Dieux, la fille dédaignant mille partis pour épouser un malotru, l’ami offrant sa bourse, son épée et son esclave, et le Pigeon parlant de fidèles amours avec une voix si élégiaque, si douce ! Ainsi, sous les yeux des filles de Mémoire, tous parleront, agiront, comme dans le rêve visible de la vie, chacun avec le langage de son état, de sa condition, de son allure, tigres, mouches, grenouilles, même les objets inanimés, même ceux où s’éveille à peine une âme indécise, la lime d’acier comme le peuplier et le roseau, tous les êtres, toutes les choses auxquels l’éternel mouvement de la matière a imposé une forme ; toutes les voix seront traduites et aussi le silencieux murmure qui s’élève de la création emprisonnée. Mais par quel art, par quelle méthode d’induction le poëte devinera-t-il la pensée qui s’agite sous l’écorce des pierres, sous le flot des sources, et même dans l’âme vague de ces agiles comédiens, singes, léo-