Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/326

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pour le héros, pour le courtisan, pour le bouffon, pour rhypocrite ; l’attitude, l’expression du visage indique et définit une âme dont le poëte s’empare. Tel est le syllogisme qui répond à toutes les nécessités, et qui tout de suite crée un monde. Et qui en doute ? rien qu’en jugeant ses comédiens par leur pantomime, le poëte se trompera moins souvent que le classificateur en manchettes ; à coup sûr, il n’accueillera pas les historiettes d’Androclès et du lion de Florence. Les animaux ont des gestes humains, des expressions humaines ; donc, en l’appliquant aux exigences de leur vie, ils ont le droit de parler le langage des hommes. D’autre part, l’homme, si souvent, si profondément bestial, l’homme, chez qui parfois apparaissent par éclairs la crinière lumineuse du lion, le sourire rusé du renard, le fin museau du rat, l’œil du bœuf majestueux et stupide, l’homme peut, sans déroger, parler avec les bêtes et comme les bêtes ; de même il peut parler à la nature, comme lui captive, comme lui affamée de lumière et d’azur, au ruisseau qui veut boire le ciel, à l’arbre qui lève vers l’azur ses bras éperdus, à la pierre qui voudrait se mouvoir, à la fleur qui ouvre sa corolle comme une lèvre avide. Ainsi, par un éclatant miracle, l’harmonie s’établit entre les créatures humaines et les créatures