Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/70

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À la bonne heure, voilà enfin une image claire, si elle est d’un goût douteux et d’une délicatesse contestable. On suerait à moins. Chercher la rime pour la coudre au bout d’un vers qu’on a fait avant d’en avoir trouvé le mot final, c’est proprement chercher une aiguille dans un gre- nier à foin plein de foin. Le pauvre Boileau, pré- tendant qu’il veut exprimer un Auteur sans défaut y comme on exprime le jus d’un citron, pense que la Raison lui dit alors : Virgile ! Il a mal écouté. La Raison, qui désigne chaque chose et chaque personne par son nom, sait que Virgile est non pas un auteur y avec ou sans défaut, mais unpoëte. Si Boileau eût été ce qu’est Virgile, un poëte, voulant parler de Virgile, il eût mis à la rime le mot VuiGiLE, ce qui Teût absolument dispensé d’avoir à la rime jumelle le nom de Quinaut. Et de même, voulant dépeindre la figure d’un ga- lant, il eût mis à la rime le mot galant, avec le- quel il lui eût été parfaitement impossible de faire rimer le nom de I’Abbé de Pure. La Raison ne manque à Boileau que parce que la Rime lui manque également.

Ceci est une loi absolue, comme les lois physi- ques ; tant que le poëte exprime véritablement sa pensée, il rime bien; dès que sa pensée s’embar- rasse, sa rime aussi s’embarrasse, devient faible,